La Kriha de Taroudant, un art musical profondément enraciné et intergénérationnel

La ville de Taroudant conserve un trésor culturel unique, l’art de la « kahrîha roadanienne », qui représente une extension vivante de l’art du malhoun marocain et incarne l’identité musicale et sociale des familles de Taroudant à travers les générations. Cet art se distingue par sa combinaison festive, symbolique et religieuse, ce qui en fait l’un des éléments les plus importants du patrimoine culturel immatériel de la ville.
L’intérêt croissant pour cet art est survenu après l’inscription de l’art du malhoun sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO, soulignant l’importance de la préservation de cet héritage national.
La kahrîha se distingue par sa spécificité qui la différencie des autres formes de malhoun. Elle est étroitement liée aux occasions sociales et religieuses. Les familles de Taroudant ont transmis cet art oralement, renforçant ainsi les valeurs de rencontre sociale et émotionnelle, et en faisant une fenêtre sur l’histoire et la culture riches de la ville.
Les textes de la kahrîha montrent une interconnexion entre la symbolique religieuse et émotionnelle, enrichie par des éléments narratifs historiques. Ce tissu artistique se révèle être non seulement une performance musicale, mais aussi un message culturel porteur de valeurs d’appartenance et d’identité, qui souligne le lien entre le passé et le présent.
Dans un entretien avec l’agence de presse MAP, le présentateur de la troupe de la dqâqa roadanienne, Sheikh Ismail Asqrou, a affirmé que l’art de la kahrîha roadanienne n’est pas simplement un genre musical, mais un héritage culturel profond qui incarne la richesse de l’identité artistique de Taroudant. Il a ajouté que ceux qui pratiquent cet art travaillent continuellement à le transmettre aux jeunes générations, en ancrant les valeurs d’appartenance et le lien avec la mémoire collective de la région, afin de préserver l’esprit patrimonial qui caractérise la ville.
Il a également souligné que la kahrîha dépasse les simples chants, car c’est un message culturel et social vibrant, qui relie le passé au présent et offre aux jeunes l’occasion de découvrir directement leur héritage et d’interagir avec lui. Il a mis en avant que l’enseignement de cet art représente une grande responsabilité, car il est garant de la continuité de cet héritage et de la préservation de sa nature authentique que la dqâqa roadanienne a su maintenir à travers les générations.
Il a insisté sur la dimension symbolique de cet art en disant que la kahrîha vise à faire en sorte que la musique patrimoniale reste un outil d’enseignement, de joie et de communication entre les membres de la société, afin que la ville de Taroudant demeure un phare de l’art authentique et un pilier essentiel du paysage culturel national.
L’art de la kahrîha roadanienne est généralement pratiqué lors de contextes festifs spécifiques, notamment les mariages, les nuits religieuses et les rencontres spirituelles qui se déroulent dans des espaces familiaux ou des zaouïas. Il se compose souvent de cercles chantants où les chanteurs échangent des rôles entre performances individuelles et collectives, dans une composition qui reflète l’esprit de solidarité et de communication au sein de la communauté.
Cet art puise son originalité dans la structure poétique de ses textes, combinant la symbolique religieuse des éloges et la sagesse des discours, avec une imagination mythologique qui utilise des images riches en rhétorique, tout en intégrant des contenus émotionnels reflétant des expériences humaines profondes, ainsi que des références historiques évoquant le passé et la mémoire collective de la ville. Cette fusion fait de la kahrîha un texte musical à la nature littéraire et culturelle, qui dépasse le cadre du divertissement pour devenir un porteur de savoir et de spiritualité enracinée.
D’un point de vue rythmique, la kahrîha s’appuie sur des instruments tels que le riq et les petites percussions, ainsi que d’autres instruments traditionnels qui régulent le rythme de la performance et mettent en avant la diversité des styles musicaux utilisés. Les rythmes sont exécutés avec précision, démontrant ainsi l’habileté des praticiens, et reposent sur des transitions délicates entre rythmes légers et lourds, en adéquation avec le contenu et le ton du texte poétique.
Dans le cadre des efforts de préservation de cet héritage, la ville de Taroudant a récemment accueilli les activités du premier forum national de l’art de la kahrîha roadanienne, sous le slogan « Kahrîha roadanienne… de la mémoire du poète Omar Bouri ».
Ce forum a été une occasion de rendre hommage aux pionniers de cet art, en reconnaissance de leurs contributions significatives au développement et à la transmission de cet héritage aux nouvelles générations, ainsi qu’une chance d’accroître la sensibilisation des jeunes à l’importance de préserver les arts traditionnels, en les incitant à participer à l’enrichissement du paysage culturel national et local, tout en renforçant la place de la kahrîha roadanienne sur les plans local et national.
En général, l’art de la kahrîha roadanienne reste plus qu’une simple performance musicale ; il constitue une préservation de la mémoire culturelle et de l’identité collective de Taroudant, un pont reliant le passé au présent, et offre aux nouvelles générations une opportunité d’engagement direct avec leur patrimoine local.




