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Le niveau de maturité 3 de l’OMS au Maroc : un indicateur technique révélateur d’un enjeu fondamental de droits humains et de couverture sanitaire universelle.

Moulay Ahmed Douraidi
Analyste des politiques de santé et droits humains

 

Sans la souveraineté sanitaire, et sans la couverture sanitaire universelle, nous avons un
décalage avec la vision d’un Maroc fondé sur la dignité, l’équité et le droit effectif à la santé
pour toutes et tous.

Introduction : de l’indicateur technique à l’obligation de l’État

Le niveau de maturité 3 (ML3) défini par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) à travers le
Global Benchmarking Tool (GBT) est souvent présenté comme un indicateur purement
technique de performance réglementaire. En réalité, il constitue un levier structurant de mise
en œuvre du droit à la santé, tel que reconnu par l’article 12 du Pacte international relatif aux
droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), ratifié par le Maroc, et par l’article 31 de la
Constitution marocaine.
Dans ses discours et orientations stratégiques, Sa Majesté le Roi Mohammed VI a constamment
rappelé que la généralisation de la couverture sanitaire universelle n’est pas une réforme
administrative, mais un projet sociétal fondé sur la dignité, l’équité et la justice sociale,
garantissant à toutes les Marocaines et à tous les Marocains un accès effectif à des soins de
qualité. Or, sans un système de régulation pharmaceutique robuste, indépendant et crédible,
ces engagements risquent de rester partiellement inappliqués.

Le ML3 de l’OMS : un prérequis structurel du droit à la santé

Atteindre le ML3 signifie que l’État dispose d’une autorité nationale de régulation des
médicaments fonctionnelle, stable, compétente et indépendante, capable de garantir que les
produits de santé sont :
 Disponibles ;
 Accessibles financièrement ;
 Acceptables ;
 De qualité (cadre AAAQ des droits humains 1 ).
Ainsi, le ML3 ne constitue pas une finalité en soi, mais une condition institutionnelle essentielle
à la réalisation progressive du droit à la santé et à la viabilité de la couverture sanitaire
universelle. Il conditionne la capacité de l’État à protéger la population contre les médicaments
inefficaces, dangereux ou financièrement inaccessibles.
Le non-accès du Maroc au ML3 : un symptôme systémique

1 INDICATEURS INTERNATIONAUX DE DISPONIBILITÉ, D’ACCESSIBILITÉ, D’ACCEPTABILITÉ ET DE QUALITÉ

Selon le rapport de l’OMS du 12 décembre 2025, le Maroc n’a pas atteint le niveau de maturité
3 dans l’évaluation de son système de régulation pharmaceutique. Cet échec ne saurait être
interprété comme une simple insuffisance technique ou conjoncturelle. Il révèle un déficit
structurel de gouvernance publique, en contradiction avec les engagements constitutionnels et
internationaux du Royaume.
Malgré des progrès industriels indéniables – développement de la production locale, réduction
relative des importations, positionnement régional – la régulation pharmaceutique reste fragile.
Or, la souveraineté sanitaire ne se mesure pas uniquement à la capacité de produire, mais à la
capacité de réguler dans l’intérêt général.

Politique du médicament : une rupture avec l’approche fondée sur les droits humains
 Une régulation déconnectée du droit à la santé
La politique nationale du médicament demeure insuffisamment fondée sur une approche droits
humains. Elle peine à garantir :
 La disponibilité continue des médicaments essentiels ;
 L’accessibilité financière, notamment pour les bénéficiaires de la CSU ;
 L’équité territoriale ;
 La protection contre les abus du marché.
Cette situation contrevient aux obligations positives de l’État de respecter, protéger et réaliser
le droit à la santé, telles que prévues par le droit international.
 Prix des médicaments et inégalités d’accès
L’instabilité des prix et le niveau parfois excessif du coût des médicaments – parfois supérieur à
celui observé dans certains pays européens – constituent une atteinte directe au droit à la
santé. Dans un contexte de généralisation de la CSU, cette situation fragilise la soutenabilité
financière du système et accentue les inégalités sociales et territoriales d’accès aux soins.
La couverture sanitaire universelle face aux limites du système d’indicateurs sociaux
 Une gestion techniciste de la CSU
La mise en œuvre de la CSU au Maroc repose largement sur des indicateurs sociaux
administratifs, imposés par le ministère de tutelle, privilégiant :
 Le nombre d’affiliés ;
 Les taux de couverture ;
 Les équilibres budgétaires à court terme.

Cette approche quantitative marginalise des dimensions essentielles du droit à la santé, telles
que la qualité réelle des soins, la disponibilité effective des médicaments, la continuité
thérapeutique et la protection contre les dépenses catastrophiques.
 Impact direct du non-ML3 sur la CSU
L’absence d’un régulateur pharmaceutique de niveau ML3 affaiblit structurellement la CSU, car :
 Les médicaments représentent une part majeure des dépenses de santé ;
 Une régulation faible favorise pénuries, surcoûts et inégalités ;
 L’État perd sa capacité de pilotage stratégique de l’offre pharmaceutique.
Ainsi, le non-accès au ML3 compromet la viabilité même de la couverture sanitaire universelle,
en contradiction avec les orientations royales et les engagements internationaux du Maroc.
Gouvernance et ressources humaines : une obligation juridique de l’État
La fuite des compétences scientifiques et techniques au sein de l’Agence marocaine du
médicament et des produits de santé (AMMPS) constitue une défaillance grave de l’obligation
de l’État de renforcer ses capacités institutionnelles. Sans expertise stable, indépendante et
protégée :
 L’évaluation scientifique des médicaments est fragilisée ;
 Les décisions réglementaires deviennent vulnérables aux pressions économiques et
politiques ;
 La sécurité sanitaire et la confiance des citoyens sont mises en péril.
La gouvernance insuffisante et les conflits d’intérêts remettent en cause le principe
fondamental de neutralité réglementaire, indispensable à toute politique de santé fondée sur
les droits humains.
Marché du médicament et responsabilité de l’État
La concentration des marchés publics et l’influence de certains acteurs économiques illustrent
une défaillance de l’État dans sa fonction de régulateur. Or, le droit international est explicite :
l’État ne peut invoquer le marché pour justifier des atteintes au droit à la santé. Il a l’obligation
de le réguler dans l’intérêt général.

Implications stratégiques du non-ML3

Le non-accès au ML3 entraîne :
 Une souveraineté sanitaire partielle et fragile ;
 Une perte d’opportunités d’intégration régionale et internationale ;

 Une fragilisation structurelle de la CSU, pourtant érigée en priorité nationale par Sa
Majesté le Roi Mohammed VI.

Conclusion : du discours à la responsabilité publique
La décision de l’OMS ne traduit pas une défaite industrielle, mais un déficit de responsabilité
publique dans la mise en œuvre du droit à la santé. Le Maroc dispose d’un potentiel industriel
réel, mais sans une autorité de régulation forte, indépendante et alignée sur les droits humains,
la couverture sanitaire universelle restera fragile et inéquitable.
Atteindre le ML3 doit devenir un objectif de droits humains, et non un simple indicateur
technique. Cela exige :
 Une réforme profonde de l’AMMPS ;
 Un investissement durable dans les compétences scientifiques ;
 Une révision du système d’indicateurs sociaux pour l’aligner sur le droit à la santé ;
 Une gouvernance libérée des pressions économiques.
Sans cela, la souveraineté sanitaire restera un slogan, et la couverture sanitaire universelle une
promesse inachevée, en décalage avec la vision royale d’un Maroc fondé sur la dignité, l’équité
et le droit effectif à la santé pour toutes et tous.

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