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Quand la Coupe d’Afrique devient un procès populaire

La Coupe d’Afrique des Nations 2025, qui se déroulera au Maroc, ne sera pas simplement un événement sportif continental à ajouter au calendrier des compétitions au Maroc, mais elle s’est transformée, sans que beaucoup d’adeptes de la malveillance ne s’en aperçoivent, en un séisme silencieux dans la conscience et la pensée de milliers de visiteurs arabes, en tête desquels les Algériens, qui entreront au Maroc chargés d’un discours officiel hostile et repartiront avec des questions troublantes, sans réponse, au sein de leur propre pays. Le voyage footballistique s’est, pour beaucoup, mué en un sévère parallèle entre deux modèles d’État, deux modèles de gouvernance, et deux futurs contradictoires.

Dès leur arrivée dans les aéroports marocains, le premier décalage de cette narration se fait sentir. Des aéroports vastes, propres, numériques, fonctionnant selon la logique du temps et de l’efficacité, et non selon celle du désordre et de l’improvisation. Ensuite, des trains à grande vitesse traversent le pays de Tanger à Casablanca, et bientôt vers Marrakech et Agadir, un spectacle que les visiteurs d’un pays possédant gaz et pétrole ne sont pas habitués à voir, mais qui n’arrive pas à fournir un transport décent à ses citoyens, contrairement au Maroc. Puis, des villes modernes et bien structurées, des autoroutes, des hôtels haut de gamme, des restaurants raffinés, et une infrastructure touristique et sportive gérée avec la mentalité de nations qui savent ce qu’elles veulent pour le présent et l’avenir.

Ici, la comparaison ne devient plus facultative. Elle s’impose avec force. Le supporter algérien n’a pas besoin de lire des rapports internationaux ni de croire des médias étrangers, car la réalité le frappe en pleine face. Le Maroc, présenté depuis des années pendant la guerre froide comme un pays « marginal » ou « réactionnaire », apparaît aujourd’hui comme une nation qui travaille, planifie et met en œuvre. Un pays qui investit dans son image, dans sa jeunesse, dans son sport, et dans sa stature continentale et internationale, sans bruit idéologique ni discours révolutionnaires vides.

Plus inquiétant encore, ce progrès marocain impressionnant ne semble ni exceptionnel ni miraculeux, mais résulte de choix politiques clairs : ouverture, stabilité, investissements à long terme, et liens entre sport, développement, tourisme et diplomatie douce. C’est précisément cela qui rend le choc douloureux dans la conscience algérienne, car la question qui se pose n’est pas : comment le Maroc a-t-il avancé ? Mais : pourquoi l’Algérie a-t-elle échoué ?

À ce stade, l’effondrement interne de la narration militaire officielle commence. Tout ce que le pouvoir algérien a inculqué à son peuple sur « l’ennemi extérieur », « les complots », et « la force de frappe », s’est évaporé face à une expérience de vie simple. L’ennemi n’est plus à l’extérieur, mais à l’intérieur. Dans la mauvaise gestion, dans la corruption structurelle, dans la militarisation de la politique, et dans un système qui consomme les richesses du pays pour prolonger sa survie autoritaire, non pour bâtir un État.

Cependant, le moment crucial ne se situe pas au Maroc, mais au retour en Algérie. Là-bas, le choc est multiplié. Des aéroports vétustes, de longues files d’attente, des employés démotivés, des services de mauvaise qualité, et une infrastructure rappelant l’ère de la misère communiste. Le plus alarmant, c’est le sentiment que le temps s’est arrêté, que le pays tourne en rond depuis des décennies, tandis que les voisins avancent à grands pas.

Ici, l’admiration pour le Maroc se transforme en une révolution réprimée et différée. Une colère qui ne se dirige pas vers le Maroc, mais vers le pouvoir en place qui a menti, trompé, et empêché son peuple d’avoir le droit à la comparaison. Le système algérien ne craint pas le Maroc en tant qu’État, mais le craint en tant que miroir. Un miroir qui révèle que le sous-développement n’est pas un destin, que l’échec n’est pas inéluctable, et que la richesse naturelle ne construit pas un État sans la volonté politique.

Cette épreuve peut-elle se traduire par une révolution sociale immédiate ? Peut-être pas au sens classique. Mais ce qui s’est passé est plus grave et profond. Le mur de la conscience s’est fissuré. Les régimes autoritaires savent très bien que le pire qui puisse leur arriver n’est pas une manifestation, mais la perte de crédibilité. Quand le citoyen cesse de croire au discours officiel, commence la fin de la peur.

La Coupe d’Afrique 2025, qui se tiendra dans six villes marocaines, jouera un rôle que des années d’opposition politique ou des rapports d’organisations internationales n’ont pu jouer. Elle a permis au public algérien d’observer, de comparer et de tirer ses propres conclusions. Et c’est précisément cela que craignent les régimes staliniens fermés : le citoyen qui pense en dehors des cadres préétablis.

Au Maroc, le football n’est pas qu’un simple jeu, mais un révélateur politique. Le stade n’était pas seulement un lieu de compétition sportive, mais un espace de comparaison culturelle. Les tribunes n’étaient pas seulement un endroit pour chanter, mais un laboratoire pour recréer la conscience. Quiconque revient du Maroc avec ces images culturelles ne retrouvera pas sa conscience telle qu’elle était auparavant.

Le régime algérien peut réussir à réprimer la colère, à faire taire les voix, et à recycler le discours, mais il ne pourra pas effacer l’expérience. Et l’expérience, une fois plantée dans la mémoire collective, se transforme en une bombe à retardement. Une bombe nommée : pourquoi sommes-nous coincés ici, alors que les Marocains avancent là-bas ?

Cette question, à elle seule, pourrait effrayer le palais de la République algérienne plus que tout ennemi extérieur.

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