L’art comme moyen de « guérison » pour les survivants du tremblement de terre en Turquie, deux ans après la tragédie.

À première vue, la scène apparaît joyeuse, avec des centaines de visages souriants dont les photos ont été découpées dans des journaux et mises sous cadre… Pourtant, cette œuvre d’art n’est qu’un hommage aux victimes du tremblement de terre qui a coûté la vie à 53 500 personnes exactement deux ans auparavant, dans le sud-est de la Turquie.
Cette installation artistique est signée par une artiste d’Antakya, la ville la plus touchée par le terrible séisme de magnitude 7,8 qui a provoqué une catastrophe majeure en Turquie et en Syrie voisine dans la matinée du 6 février 2023.
Aml Jinç déclare à l’Agence France-Presse : « Les traces de ces personnes dans les cadres, avec tout ce vide et ce désespoir qui les entourent… tout cela génère un sentiment contradictoire de tristesse et de bonheur chez ceux qui tentent de conserver ces souvenirs pour toujours. »
Aucune autre ville n’a subi une douleur aussi intense à cause de ce tremblement de terre qu’Antakya : 90 % de ses bâtiments ont été détruits et plus de 20 000 personnes ont perdu la vie dans la ville et dans la province de Hatay à laquelle elle appartient.
Jinç se remémore la catastrophe en disant : « Nous avons perdu une ville entière. »
Cette artiste a rassemblé des objets personnels parmi les décombres, y compris des photos anciennes, des bijoux et des débris en béton, pour exprimer à travers son art « le vide total et le désespoir résultant de la perte de tout. »
Une partie de ses œuvres est exposée au Centre d’Antakya pour les arts et la culture, un complexe en plein air inauguré le 1er janvier, qui permet à plus de 70 artistes locaux de présenter leurs créations.
Hakan Boğacı, directeur de l’Association culturelle de Hatay, explique : « À la suite du tremblement de terre, de nombreux lieux culturels et sociaux se sont transformés en ruines. »
« L’objectif était de créer un espace qui permette aux artistes locaux de revenir dans la ville après que beaucoup d’entre eux l’ont quittée. Cela leur donne la possibilité d’exposer leurs travaux et de constituer un lieu de rencontre pour la communauté locale. »
Il ajoute : « Les artistes sont la mémoire de la ville. On peut reconstruire les maisons et les édifices, mais cela ne suffit pas à restaurer la ville à son ancienne splendeur. »
Au milieu de la semaine, seule une poignée de visiteurs présents sur le site discutent avec les artistes qui animent parfois des ateliers artistiques. Devant l’un de ces ateliers, une petite fille tient une statue en marbre qu’elle a réalisée, tandis que des membres de sa famille la prennent en photo… tout le monde sourit.
Boğacı précise : « Beaucoup de gens vivent encore dans des conteneurs, et ils avaient besoin d’un endroit pour sortir comme celui-ci. »
Depuis dix ans, Esra Mansouroğlu (47 ans) crée des œuvres en mosaïque traditionnelle, mais depuis le tremblement de terre, elle a commencé à reproduire les images qui l’ont profondément touchée.
Dehors de son atelier, une photo montre un homme en veste orange, à côté des décombres de sa maison, tenant la main de sa fille de 15 ans, ensevelie sous les gravats.
Cette image, capturée par le photographe de l’AFP Adam Atlan, est devenue une représentation poignante de la catastrophe et de la douleur qu’elle a engendrée.
Mansouroğlu explique : « Il n’a pas lâché la main de sa fille jusqu’au matin, bien qu’elle fût morte. »
« Cela m’a beaucoup attristée car j’ai également perdu ma mère et mon frère, et je peux ressentir cette douleur. »
Elle ajoute : « Après tous ces décès, nous étions dans un état terrible. J’ai cessé de créer pendant un certain temps. Puis j’ai repris pour me guérir ; cela a été comme une thérapie. »
L’artiste turque affirme : « Je guéris grâce à la mosaïque. »
Boğacı précise que le centre culturel, financé par le bureau du gouverneur de Hatay et l’Agence de développement de la Méditerranée orientale, apporte « une dose de soutien » aux artistes et aux habitants de la ville.
À l’extérieur du complexe, deux jeunes artistes créent des fresques sur les murs en béton. Mohamed Ersin, un artiste de 27 ans, déclare qu’il est payé pour raconter l’histoire riche de la ville à travers sa peinture, mais « je ne parlerai pas du tremblement de terre car nous ne souhaitons pas nous en souvenir. »