Art & Culture

À l’occasion de la Journée mondiale de la poésie, la voix des poèmes résonne-t-elle encore parmi nous ?

Abdou Haqi

Chaque année, le 21 mars, les écrivains du monde se réunissent pour célébrer la "Journée mondiale de la poésie", une date adoptée par la Conférence générale de l’UNESCO lors de sa trentième session à Paris en 1999. Ce jour a été choisi dans le but de promouvoir la diversité linguistique et d’offrir aux langues menacées d’extinction davantage d’opportunités d’expression. La Journée mondiale de la poésie est ainsi une occasion de rendre hommage aux poètes et de revitaliser la tradition orale des soirées poétiques.

Cette année, cette célébration revêt une résonance particulière dans le monde arabe, où la poésie a toujours été une marque vitale dans la mosaïque de la culture, de l’identité et de la résistance. Des mu’allaqāt préislamiques aux riches trésors soufis, en passant par les vers de Mahmoud Darwich en exil et les voix marocaines contemporaines exprimant leur modernité, la poésie continue de respirer, même si l’air qui l’entoure est de plus en plus pollué et moins oxygéné.

Cependant, alors que nous célébrons, il est essentiel de réfléchir aux défis auxquels la poésie est confrontée aujourd’hui. Si la poésie a souvent prospéré sous la contrainte et les restrictions – découvrant la métaphore, la métonymie et la précision face à la censure – la réalité actuelle est devenue plus criante. Dans de nombreux pays arabes, les poètes évoluent sur une ligne très fine entre vérité et autoritarisme.

Les expressions d’opposition, les critiques du pouvoir ou les réflexions audacieuses sur des sujets tabous peuvent mener à la marginalisation, à l’exil ou même à l’emprisonnement. Ce climat étouffe par nature la voix du poète et sape l’essence même de la poésie.

Au Maroc, bien qu’il y ait une marge de liberté plus large comparée à certains pays voisins, des lignes rouges invisibles persistent, en particulier sur des sujets politiques ou religieux. L’auto-censure engendrée par ces lignes rouges menace l’authenticité et l’impact de l’œuvre poétique.

D’autre part, le monde de l’édition des recueils de poésie est en crise, notamment dans le monde arabe. Les recueils de poésie sont souvent considérés comme "non rentables", et de nombreuses maisons d’édition hésitent à y investir. Les tirages sont faibles, les réseaux de distribution défaillants et l’intérêt public, souvent affaibli par les difficultés économiques, est fréquemment limité.

Au Maroc, les jeunes poètes rencontrent des difficultés à trouver des éditeurs, à moins de compter sur leurs propres financements. De plus, le manque de soutien gouvernemental, la rareté des bibliothèques publiques et des initiatives poétiques nationales accentuent la marginalisation de cet art raffiné.

Ce qui reste est souvent considéré comme élitiste, inaccessible au grand public ou limité aux cercles académiques.

L’ère numérique a bouleversé l’expression poétique, offrant des plateformes qui transcendent les portes d’entrée et les scènes traditionnelles. Les réseaux sociaux ont engendré des "poètes Instagram", des narrateurs TikTok et des performances poétiques largement diffusées. Pour beaucoup, notamment les jeunes générations, cela représente une plus-value pour la démocratie dans le domaine de la production poétique.

Il ne fait aucun doute que cette nouvelle vision a un coût élevé. Les algorithmes récompensent la simplicité, la rapidité et la popularité, des caractéristiques qui entrent souvent en contradiction avec la nature réflexive et multi-couches de la poésie traditionnelle. Appuyer sur le bouton "performance" ou "large diffusion" peut affaiblir la profondeur spirituelle et symbolique du poème.

Au Maroc, bien que certaines voix émergentes aient gagné des publics via Instagram ou Facebook, elles luttent souvent pour trouver un équilibre entre technique et mode.

Le défi majeur reste la "disparition de la poésie en prose dans les programmes éducatifs". Dans tout le monde arabe, la poésie est soit reléguée à une représentation honteuse dans les curriculums scolaires, soit enseignée de manière rigide et peu inspirante. Cela prive les esprits et les sensibilités jeunes d’un vecteur essentiel pour l’imaginaire, la sympathie et la pensée critique.

Malgré notre riche héritage poétique – avec des poètes de renommée mondiale tels que Mohammed Bennis, Abdelatif Laabi, et Mohammed Ben Talha, entre autres – la poésie est souvent marginalisée dans les écoles.

Raviver l’intérêt pour la poésie nécessite une politique pédagogique et culturelle qui valorise la créativité, finance des programmes littéraires et redonne aux poètes leur statut.

Pour la Journée mondiale de la poésie 2025, célébrons non seulement les poèmes, mais aussi "la vitalité de la voix poétique" dans le monde arabe. Soutenons les poètes qui osent écrire librement, les éditeurs qui prennent des risques avec leurs investissements, les enseignants qui alimentent la passion et les créateurs numériques qui préservent la profondeur de la poésie dans un monde bruyant.

Souvenons-nous également que la poésie ne s’éteint pas facilement – elle se transforme, se manifeste dans la beauté de la récitation et de la performance, glisse vers la contestation et trouve sa place dans l’éloquence du silence. Elle est un murmure et un fracas à la fois.

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