Attraction des talents et rétablissement de la confiance dans la noblesse de l’engagement politique

Par Khadija Al-Kour – Présidente de l’Organisation des Femmes Harakies
Le Maroc constate ces dernières années un retrait progressif des élites et des compétences du champ politique. Cette réalité est confirmée par de nombreux rapports et études qui montrent la difficulté de convaincre cette catégorie à s’engager dans la sphère politique. Cela est largement attribué à des pratiques politiques manquant de transparence et à la domination de réseaux fermés qui freinent le renouvellement des élites. Cette crise s’est manifestée par des scènes de boycott populaire et une baisse de la confiance envers les partis, comme le démontrent certaines échéances électorales et mouvements de contestation sociale, révélant un profond déséquilibre dans la représentation.
Pour retrouver la confiance des élites et des compétences et rétablir les ponts de la réconciliation avec l’engagement politique, il est essentiel d’établir des pratiques politiques plus ouvertes et transparentes, de valoriser le capital professionnel et intellectuel des compétences au sein des structures partisanes, ainsi que de créer des espaces institutionnels de dialogue réunissant partis, élites et société civile. Ces mécanismes représentent une entrée fondamentale pour reconstruire la confiance et renforcer un engagement politique conscient, responsable et durable.
Dans ce contexte, attirer des compétences et produire des élites politiques qualifiées constitue un défi majeur dans le paysage politique national. La force de l’expérience démocratique repose essentiellement sur la capacité des partis à former politiquement les citoyens et à produire des élites politiques capables d’assumer les responsabilités publiques et de répondre aux aspirations des citoyens. Il serait réducteur de considérer la question du recrutement des élites et des compétences comme une simple exigence technique ou académique. Leur présence dans le paysage politique est une base essentielle pour soutenir la légitimité des partis et restaurer la confiance perdue dans les institutions représentatives.
Le sujet du recrutement des compétences et des élites dans le travail politique a occupé une place centrale dans plusieurs discours royaux, soulignant que la compétence, le mérite et l’exigibilité doivent constituer les fondements du choix des élites politiques aptes à gérer les affaires publiques, loin de la logique des intérêts personnels, du clientélisme et du favoritisme. Le développement d’élites qualifiées représente donc la pierre angulaire de la construction d’un système politique solide et fiable, renforçant la confiance des citoyens dans les institutions représentatives.
La Constitution marocaine de 2011 a consacré cette orientation, en affirmant le rôle vital des partis dans l’encadrement des citoyens et la formation d’élites politiques capables de participer à la gestion des affaires publiques. Les lois organiques des partis ont renforcé cette tendance en rendant les partis responsables d’adopter la démocratie interne, la transparence financière et d’entreprendre des initiatives de formation. Certaines formations ont tenté de mettre en œuvre cela par la création d’académies de formation et de secteurs professionnels, mais les ressources limitées et l’absence de soutien financier ont entravé leur capacité à produire des élites partisanes qualifiées. L’absence de mécanismes clairs au sein des partis pour gérer le parcours politique de leurs membres, tant pour la promotion dans les responsabilités partisanes que pour les fonctions représentatives au niveau du parlement, des collectivités locales et des chambres professionnelles, a également contribué à l’abandon des élites des partis politiques.
Face à cette réalité, une approche globale est devenue nécessaire pour reconstruire une culture politique et organisationnelle nouvelle au sein des partis. Cela impliquera d’attirer des compétences issues des partis et de les former sur le terrain, en mettant l’accent sur les compétences essentielles requises par les élites politiques, telles que la planification stratégique, l’art de la négociation, l’éthique, la compréhension de la société, la capacité de communication et la volonté de recevoir des critiques constructives, sans oublier le sens de l’altruisme et le dévouement au service de l’intérêt général. Les élites doivent émerger des partis en mettant en lumière les compétences marginalisées et en leur offrant des occasions de briller, d’influencer, de diriger et d’assumer des responsabilités.
Pour cela, un ensemble de mesures pratiques et intégrées peut être adopté, allant de la liaison du financement public des partis à la mise en œuvre de programmes de formation et d’encadrement des compétences, au développement d’académies politiques pour la formation politique et de leadership, avec des certifications reconnues pour toutes les catégories professionnelles. Il serait également pertinent d’introduire des mécanismes de sélection transparents pour les candidats aux élections fondés sur la compétence et l’expérience. Le rôle des organisations professionnelles parallèles pourrait être renforcé par un financement efficace et un soutien, en établissant des mécanismes pour gérer le parcours politique au sein de chaque parti, tout en favorisant la participation des jeunes et des femmes, en créant des systèmes de suivi et d’évaluation des parcours des membres, et en intensifiant la transparence, la responsabilité et l’ouverture à la société civile.
De plus, l’attraction des compétences pourrait être renforcée par la publication de rapports périodiques sur les programmes de formation au sein des partis, l’adoption de quotas pour les cadres supérieurs dans les listes électorales, la promotion de l’intégration des compétences de la diaspora marocaine, et la création de conseils de compétences parallèles pour alimenter la décision partisane de connaissances scientifiques et pratiques. Des parcours politiques structurés, comprenant formation, accompagnement et évaluation régulière, devraient également être lancés, sans oublier les mécanismes incitatifs pour les membres remarquables, l’ouverture aux plateformes numériques pour relier les compétences au travail partisan, ainsi que l’établissement de partenariats avec des universités et des centres de recherche, et le lancement de concours annuels pour sélectionner les meilleures initiatives jeunes ou féminines et offrir à leurs porteurs des réelles opportunités de leadership et de candidature.
Le retrait graduel des élites et des compétences du travail partisan impose un défi stratégique au Maroc, ne pouvant être surmonté qu’en rétablissant la confiance entre partis, élites et citoyens. L’attraction efficace des compétences ne se limite pas à l’engagement d’expertises externes, mais implique également le développement et la valorisation des compétences présentes au sein des partis, à travers des programmes de formation avancés, des parcours politiques clairs et des pratiques politiques transparentes et justes. Cet effort requiert également de renforcer les partenariats avec la société civile, les universités et les centres de recherche, ainsi que d’ouvrir des canaux de dialogue et de consultation continus pour concrétiser les idées et initiatives qui pourraient contribuer à moderniser le travail partisan.
Ainsi, construire une élite politique compétente et qualifiée n’est pas un choix optionnel, mais une nécessité pour renforcer la légitimité démocratique et la durabilité du système politique. Le succès dans ce domaine se traduira par la capacité des partis à être des foyers de compétences et d’expertises, et des terrains de production des futurs dirigeants, tout en étant à même de répondre aux aspirations des citoyens et de renforcer leur sentiment d’appartenance et de participation. Sans cette réconciliation essentielle entre les élites et le travail partisan, les partis continueront de rencontrer des difficultés à se renouveler et la démocratie restera lacunaire en termes de participation réelle et de représentation effective.
En conclusion, on peut affirmer que la stratégie nationale de renouvellement du travail partisan doit placer la compétence et l’élite au cœur du processus de changement, à travers des outils clairs et des pratiques durables, afin de rendre les partis marocains plus aptes à attirer et impliquer les compétences, ce qui renforcerait la qualité de la performance politique et garantirait un avenir démocratique fondé sur la connaissance, le mérite et la représentation véritable de toutes les composantes de la société.